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L’ordinaire de la sortie de guerre. Sociologie de l’action publique après la violence armée

The banality of the aftermath of war. A sociology of policy-making after armed violence

Responsables scientifiques
Jacobo Grajales (Université Lille 2 – CERAPS) jacobo.grajaleslopez@univ-lille2.fr
Cécile Jouhanneau (Université Paul Valéry Montpellier – ART-Dev) cecile.jouhanneau@univ-montp3.fr

Pour rendre compte des processus politiques et sociaux à l’œuvre dans la sortie de guerre, cette section thématique propose d’explorer la production de l’action publique, en particulier dans des secteurs fréquemment négligés par les spécialistes du « post-conflit » : politiques foncières, politiques agraires et agro-alimentaires, politiques éducatives, politiques du genre ou encore politiques d’aménagement urbain. Ce faisant, on entend fournir aux études de la guerre et de la paix une compréhension plus fine de la sortie de guerre qui s’attache aux pratiques politiques et sociales ordinaires. A rebours des approches exceptionnalistes du « post-conflit » focalisées sur les bouleversements induits par la guerre et sur des dispositifs singuliers visant la construction de la paix (peacebuilding), prêter attention à l’ordinaire revient à postuler que le conflit n’y a pas mis entièrement fin. De l’étude de la production de politiques sectorielles ordinaires, au sens où elles ne sont pas spécifiques aux sociétés issues d’une guerre, on espère une restitution plus rigoureuse de l’historicité des sociétés concernées. Qu’est-ce qui, dans les modalités de la compétition politique, de la représentation des intérêts, des pratiques bureaucratiques ou encore des revendications d’expertise et de légitimité, relève de reconfigurations liées au conflit, et qu’est-ce qui ne s’y résume pas et renvoie, par exemple, à l’insertion dans le capitalisme globalisé ? Dans le même temps, cette section thématique fait le pari que le prisme du « post-conflit » puisse contribuer à la sociologie de l’action publique. En réunissant autour d’un objet commun – les situations post-conflictuelles – des spécialistes de différentes politiques sectorielles, on espère dépasser le cloisonnement qui les caractérise souvent et façonner par ces échanges des questionnements renouvelés.
Pourquoi chercher à saisir l’ordinaire de la sortie de guerre ? Cette démarche s’inspire de l’entreprise récente de banalisation sociologique de l’étude de la guerre. En France et ailleurs, en histoire sociale comme en anthropologie, des travaux sur « l’ordinaire de la guerre » (Buton et alii 2014) et sur « les vies quotidiennes » en temps de guerre (e.g. Maček 2009) ont permis de s’extraire des approches exceptionnalistes des conflits armés pensés comme des ruptures, pour mettre en évidence leurs logiques sociales et les replacer dans des temporalités plus longues. En étudiant l’ordinaire, au sens large de ce qui est quotidien et commun et de ce qui est (re)construit comme « normal », ces auteurs se donnent les moyens de comprendre les ressorts sociaux de l’engagement dans la violence, les formes de réagencement social ou encore les conditions d’exercice du pouvoir politique dans et par la guerre (e.g. Marchal 2002). On estime que cette attention portée à l’ordinaire de la guerre gagnerait à être étendue aux sorties de guerre. En effet ces situations restent encore marquées par l’exceptionnalisme méthodologique et par des questionnements spécifiques en termes de « transition de la guerre à la paix », de « réconciliation » et de « reconstruction post-conflit » dont les dimensions normatives et fonctionnalistes ont été maintes fois signalées (e.g. Belaid et alii 2011).
A n’en pas douter, depuis une dizaine d’années des approches sociologiques banalisées ont été déployées pour rendre compte des sorties de guerre. Toutefois, même dans ces travaux soucieux d’une banalisation sociologique de l’étude des sorties de conflits, le choix des objets témoigne d’une focalisation quasi-exclusive sur des politiques directement liées au conflit : politiques commémoratives, politiques de réparations aux victimes, politiques de retour des réfugiés et déplacés… Autre caractéristique de ces travaux de sociologie politique du « post-conflit », leur tendance à prendre pour objets les dispositifs relevant de l’ingénierie internationale de la paix : la justice pénale internationale et la justice transitionnelle, les réformes du secteur de la sécurité et de DDR, la mise en place de la démocratie électorale ou encore la refonte des manuels scolaires. Indéniablement, ces travaux ont jeté sur les objets de prédilection des spécialistes du peacebuilding la lumière crue de la sociologie politique. Les logiques d’action d’acteurs et d’organisations internationaux, en particulier, ont été richement documentées (cf. projet ANR Irène « Les professionnels internationaux de la paix. Sociologie et histoire d’une ingénierie transnationale », coordonné par D. Ambrosetti, S. Lefranc, G. Mouralis, 2010-2014). Reste à présent à s’émanciper des priorités de recherche du peacebuilding et à se pencher sur des objets qui ne soient pas surdéterminés par l’expérience du conflit ou par l’objectif de sa résolution.
Certains objets, pourtant très riches, restent en effet dans l’ombre : l’allocation des ressources foncières, la distribution de l’eau, le travail, l’accès à la protection sociale et à la santé… Cette section thématique fait le pari de scruter ces politiques sectorielles afin d’éclairer les sorties de guerre mais aussi de contribuer à la sociologie de l’action publique. Depuis une dizaine d’années, un dialogue est engagé entre la sociologie des relations internationales et celle de l’action publique (Petiteville et Smith 2006). Ses principaux animateurs admettent que « les chercheurs concernés par les [Relations internationales] et [l’Analyse des politiques publiques] gagneraient à mieux connaître et reconnaître leur héritage commun – celui de la sociologie » (Devin et Smith 2013). Plus récemment, c’est précisément au nom d’une conception unitaire des sciences sociales qu’une véritable « banalisation de l’enquête à l’international » (Siméant 2015 : 5) a été proposée. Telle est la veine dans laquelle s’inscrit cette section thématique qui entend extraire les sorties de guerre du seul champ d’intérêt des internationalistes pour leur poser des questionnements banals de la sociologie et de l’histoire de l’action publique. La conception unitaire des sciences sociales mise en œuvre dans l’approche socio-historique de l’action publique (Payre et Pollet 2013, Buton et Mariot 2009) semble particulièrement à même de replacer la fabrique des politiques publiques « post-conflit » dans des temporalités longues et des contextualisations fines.
Plutôt que de chercher une définition normative du « post-conflit » nous nous intéressons donc à ses usages politiques et à ses multiples caractérisations. Nous analysons celui-ci de manière double. D’une part, comme un paradigme qui va bien au-delà des secteurs strictement concernés par la violence et sa pacification. D’autre part, attentifs aux continuités relatives de la sortie de guerre qui ne nous apparaît ni comme une tabula rasa ni comme un simple retour à l’avant-guerre, nous postulons que la sortie de guerre peut également être analysée comme une configuration d’acteurs, faite d’alliances, de ressources mobilisables ou encore d’identités revendiquées. Ainsi, une analyse des logiques d’acteurs prendra en compte le repositionnement des individus et des groupes sociaux à l’aune de la marginalisation de l’usage de la violence et de l’apparition de nouvelles arènes politiques. Nous serons ici particulièrement attentifs aux logiques de reconversion de ressources, de savoirs et de positions sociales qui sont autorisées par la sortie de guerre. Par ailleurs, une analyse cognitive permettra de mettre l’accent sur les effets de l’inscription de nouveaux secteurs d’action publique dans le domaine de la pacification. Dans bien de contextes, tout se passe en effet comme si la rhétorique du « post-conflit » envahissait progressivement des secteurs divers. La question consiste alors de comprendre ces mécanismes d’entraînement, les usages politiques qui sont faits des catégories liées à la sortie de guerre et les acteurs qui portent cette entreprise de redéfinition. On peut alors chercher à comprendre le « post-conflit » comme une « problématisation », c’est-à-dire comme des façons légitimes de poser un problème qui s’insèrent dans des pratiques et des rapports de pouvoir (Henry 2007, en allusion aux travaux de Michel Foucault). Pour ce faire, cette section thématique encouragera des travaux empiriques portant en particulier sur les circulations d’acteurs et d’instruments à l’œuvre dans la production de l’action publique en sortie de guerre.

In this panel, we intend to shed light on the aftermath of war by unearthing its banality, notably as far as public policy-making is concerned. Such a perspective goes alongside certain epistemological and methodological choices. First, it entails breaking away from the methodological exceptionalism of “post-conflict” studies and, instead, raising ordinary questions drawn from sociology and history of public policy, as part of a unitary conception of social science. Moreover, such a perspective invites us to turn our backs to research objects that are over-determined by the conflict or by the objective of its resolution, and to privilege objects that are often neglected by “post-conflict” studies, namely banal public policies such as land and farming policies, urban planning, educative and gender policies. In order to unearth the banality of policy-making after violence, we suggest to analyse the “post-conflict” both as a social configuration of actors, and as a public policy paradigm, which should enrich our analysis of change and continuity in times of war, peace, and “no peace no war”.
This renewed perspective requires a two-pronged reflection. First, in this panel we shall investigate the logics of circulation of public policy actors. Indeed, like many political crises, post-war situations are conjunctures that are propitious to individuals’ repositioning. Our methodological decision to observe the aftermath of war from its margins offers a vantage point to analyse how professional careers – in the security or the humanitarian sector for instance – can be used as part of reconversion strategies. The most classic example is the one of military actors, but a greater diversity of actors now adopt such reconversion practices. For instance, professionals specialised in international development may turn away from defining their practices as emergency intervention, and favour labelling them as economic action. More local actors, such as war victims’ associations, may also reposition in the post-war. Often formed during the conflict itself in order to organise the search for the missing or to foster mutual help, in the war aftermath victims’ associations may struggle to be included within public policy networks related to war reparations, criminal law and commemorations, for instance. What circulations of individual and collective public policy actors does the war aftermath authorise? What resources, what grounds for legitimacy, what conception of interest representation enable their reconversion, their exclusion or their remaining within certain policy sectors?
In this panel, we also invite communications related to the circulation of public policy instruments. Indeed, in the war aftermath certain technical instruments may come to be suddenly inscribed within the field of “post-conflict”. Armed crises that have a strong agrarian element are a good example of this process. In such contexts, the recording of land titles is promoted by different international actors – such as the World Bank, the EU cooperation actors and the French Agency for Development – as a tool for peacebuilding and conflict prevention. Such a policy involves a wide variety of instruments – such as cadastral plans and censuses – whose promoters might henceforth gain access to new resources. The opposite process, through which instruments meant for “conflict resolution” are exported towards other policy sectors, also deserve a closer investigation. For instance, instruments of justice of exception might get included into ordinary criminal law, and mediation procedures meant for bottom-up peacebuilding (Lefranc 2008) might be reinvested into other social spheres than those which are directly linked to armed violence. Does the circulation of public policy instruments and forms of knowledge point to certain bureaucratic reconfigurations, to forms of public policy externalisation or even to transformations of the State?

REFERENCES

Belaid, M., Daho, G., Lima, J., Nougoua, A., Serrano Moreno, J. & Vinckel, S. (2011). La construction sociale du “post-conflit” à travers les jeux d’acteurs, Journée d’études, Université Paris I, 9 novembre.
Buton, F., Loez, A., Mariot, N. et Olivera, P. (2014). « L’ordinaire de la guerre », Agone, n°53.
Buton, F. et Mariot, N. (2009). Pratiques et méthodes de la socio-histoire. Paris, PUF.
Debos, M. (2013). Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres. Paris, Karthala
Devin, G. et Smith, A. (2013). « Les politiques internationales : Objets et stratégies de recherche », Bilan scientifique du Congrès de l’AFSP, p. 6
Grajales, J. (2016). « La terre, entre guerre et paix. Politiques foncières et sortie de conflit en Colombie », Etudes du CERI, n°223, septembre.
Hall, P. (1993). « Policy paradigms, social learning, and the state: the case of economic policy-making in Britain », Comparative Politics, vol. 25, n° 3, p. 275-296
Henry, E. (2007). Amiante : un scandale improbable. Sociologie d’un problème public. Rennes, PUR.
Jensen, D. et Lonergan, S., dir., (2012). Assessing and Restoring Natural Resources In Post-Conflict Peacebuilding. New York, Routledge.
Lefranc, S. (2008). « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 174, p. 48-67
Linhardt, D. et Moreau de Bellaing, C., dir. (2013) « Ni guerre, ni paix. Dislocations de l’ordre politique et décantonnements de la guerre », Politix, no 104.
Maček, I. (2009). Sarajevo under siege. Anthropology in wartime. Philadelphia, UPenn Press
Marchal, R. (2002). « Les frontières de la paix et de la guerre », Politix, vol. 15, n°58, p. 39-59.
Payre, R. et Pollet, G. (2013). Socio-histoire de l’action publique. Paris, La Découverte.
Petiteville, F. et Smith, A. (2006). « Analyser les politiques publiques internationales », Revue française de science politique, vol. 56, n°3, p. 357-366
Richards P. (2005). « New war: an ethnographic approach » in Id. (dir.), No peace, no war: An anthropology of contemporary armed conflicts, Athens/Oxford, Ohio UP/J. Currey.
Siméant, J., dir. (2015). Guide de l’enquête globale en sciences sociales. Paris, CNRS Eds.
Surel, Y. (1995). « Les politiques publiques comme paradigmes » in Faure, A., Pollet, G. et Warin, P., dir., La construction du sens dans les politiques publiques, Paris, L’Harmattan, p. 125-151.
Young, H. et Goldman, L. (2015). Livelihoods, Natural Resources, and Post-Conflict Peacebuilding, Londres, Routledge

Camille Popineau (Université Paris I – CESSP), Trajectoires enseignantes et reconversion des outils éducatifs dans la Côte d’Ivoire ‘post-conflit’ : la guerre comme actrice de la recomposition de l’État

Sahar Aurore Saeidnia (EHESS – IRIS), Une république des martyrs ? Les bassidji-s au carrefour des multiples registres de légitimation de de la République islamique

Marie Saiget (Sciences Po Paris – CERI), Négocier la ‘transition post-conflit’ sur le terrain des interventions. Le cas des politiques du genre au Burundi

Marie-Esther Lacuisse (Aix-Marseille Université – CERIC), Les standards du label équitable et la réorganisation d’un territoire rural en guerre. L’action bricolée des Nations-Unies dans la région de San Martin au Pérou (1986-2004)

Jacobo Grajales (Université Lille 2 – CERAPS), La terre pour qui la travaille ? Allocation de la propriété et sortie de conflit en Colombie

Cécile Jouhanneau (Université Paul Valéry Montpellier – ART-Dev), La politique en aparté ? Les politiques de l’emploi dans l’industrie agroalimentaire en Bosnie-Herzégovine

Discutant.e.s :
François Buton (CNRS-CEPEL)
Sandrine Lefranc (CNRS-ISP)

Camille Popineau (Université Paris I – CESSP)

 Trajectoires enseignantes et reconversion des outils éducatifs dans la Côte d’Ivoire ‘post-conflit’ : la guerre comme actrice de la recomposition de l’État
L’éclatement de la « crise ivoirienne » en septembre 2002 débouche sur la formation d’une zone rebelle dans la partie nord du pays où des secteurs publics vont peu à peu se reformer malgré la guerre. L’analyse du secteur éducatif permet de saisir certaines recompositions étatiques dans la période « post-crise ». On note d’abord la circulation des acteurs de l’éducation entre différents domaines d’action publique pendant et après la guerre (administration rebelle, bureau politique, parfois députation), qui illustre une logique de revalorisation et de réemploi des capitaux et des ressources accumulées pendant la guerre. Ensuite, le processus d’intégration à la fonction publique ivoirienne des ex-« enseignants volontaires » (les raisons, les conditions, les négociations et les conflits) donne à voir de manière concrète ce qui se joue au niveau individuel et collectif dans la « sortie » de crise. Enfin, certains instruments de gestion du secteur scolaire se sont particulièrement développés dans la zone rebelle pendant la crise et sont aujourd’hui d’une importance croissante dans les politiques éducatives, illustrant ainsi l’influence des outils de politiques publiques formés pendant la guerre sur l’Etat ivoirien. Tous ces éléments attestent des effets des guerres sur les modes de gouvernement et viennent valider l’hypothèse d’une nécessaire relativisation des périodes de guerre et de paix, ainsi que de la place des situations conflictuelles dans la transformation de l’Etat.

Teacher Trajectories and Educational Practices in “Post-Conflict” Côte d’Ivoire: the Influence of War on State Formation
In September 2002, the North of Côte d’Ivoire becomes a rebel zone where public services are progressively rebuilt despite the war context. Studying the education’s sector allows us to analyze how the war is paradoxically a period of State formation. First, teachers are circulating in different publics services during and after the war (rebel administration, rebel political bureau, or even rebel Parliament). It illustrates how teachers try to use the skills, capitals and resources they acquired during the war to improve their professional and social position. Second, the process of integration into the Ivoirian public service for every ex-“volunteer teachers” (including the reasons, conditions, negotiations and conflicts) shows concretely what happens and what is at stake during a transition period at individual and collective level. Third, some tools and practices used by education actors during war are part of some public policies in the education sector in the post-conflict period, illustrating the influence of daily politics in rebel zone on the Ivoirian State. The Ivorian example demonstrates how war shapes the State and its government, allows us to examine the hermetic distinction between war and peace, and highlights the importance of conflicts in State transformation.

Sahar Aurore Saeidnia (EHESS – IRIS)

Une république des martyrs ? Les bassidji-s au carrefour des multiples registres de légitimation de la République islamique
La République islamique à peine proclamée, l’Iran entre en guerre avec l’Irak en 1980. Pendant huit années les bassidji-s, de jeunes révolutionnaires actifs dans les organisations populaires paramilitaires créées par l’ayatollah Khomeyni en novembre 1979, se portent volontaires pour défendre la « nation » et la « Révolution ». Dans cette communication, je propose de revenir sur les années suivants la fin de ce conflit à partir d’une analyse « par le bas » de la sortie de guerre organisée autour de deux axes. D’une part, en m’appuyant sur une enquête de terrain menée dans les quartiers de Téhéran entre 2007 et 2011, je souhaite expliciter comment l’action publique en Iran s’est dès le départ construite en faveur de ces acteurs que sont les bassidji-s et martyrs de la Révolution. D’autre part, en revenant sur les transformations de leurs activités depuis la fin du conflit, j’analyse comment les bassidji-s participent localement à la vie culturelle et sociale des quartiers. Loin de puiser uniquement dans le registre révolutionnaire et de se réduire à des cours de tir ou d’auto-défense, les activités de loisir proposées par les bassidji-s comprennent aujourd’hui des classes d’anglais, d’informatique et de dessin, et les bassidji-s mobilisent tant des registres de légitimation civiques pour accéder aux ressources symboliques et matérielles des loisirs.

A martyrs’ republic? The Basidji-s, at the crossroad of the Islamic Republic of Iran’s registers of legitimization
The proclamation of the Islamic Republic of Iran is followed few months later by a war opposing Iran and Iraq. During eight years the basidji-s – young revolutionaries involved in popular paramilitary organizations Ayatollah Khomeyni created in 1979 – volunteer to defend the “Nation” et the “Revolution”. In this paper, leaning on an ethnographic research I undertook in Tehran’s neighbourhood between 2007 and 2011, I would like to analyse “from below” two axis of the aftermath of war. First, I will explain how policy-making in Iran has been favouring basidji-s and war martyrs’ entourage since the beginning of war. Secondly, I will focus on basidji-s activities following the war’s aftermath: I will show how they have invested cultural and social activities in the city’s neighbourhoods, but also how they lean on different registers of legitimization of the Islamic Republic – religious, revolutionary and civic – in order to access symbolic and material resources of leisure activities.

Marie Saiget (Sciences Po Paris – CERI)

Négocier la ‘transition post-conflit’ sur le terrain des interventions. Le cas des politiques du genre au Burundi
Cette proposition vise à étudier les défis posés par la ‘transition post-conflit’ dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques du genre au Burundi depuis le milieu des années 2000. Plus particulièrement, elle s’interroge sur la manière dont cette catégorie est produite et ses effets sur la conduite de l’action publique dans un domaine d’activité « ordinaire », c’est-à-dire qui n’est pas propre aux objectifs de résolution des conflits mais englobe également d’autres agendas, comme le développement. Quels sont les effets structurants de la ‘transition post-conflit’ sur l’action publique sur le genre au Burundi ? Comment cette catégorie est-elle négociée, utilisée et interprétée par les acteurs sur le terrain et que fait-elle aux politiques du genre ? En m’intéressant aux processus et aux configurations d’acteurs qui président à sa production, je montrerai que l’usage de la catégorie ‘transition post-conflit’ est un moyen pour des acteurs divers – dits ‘externes’ comme les agences des Nations unies, ou bien ‘locaux’ comme le gouvernement burundais et les organisations de femmes – de légitimer leur action sur le changement social et politique. La communication s’appuiera sur un travail de recherche doctorale rassemblant trois terrains d’enquête réalisés au Burundi entre 2012 et 2014 et l’examen des documents produits par les organisations qui participent à l’action publique sur le genre au Burundi.

Negotiating the ‘post-conflict transition’ on the field of interventions. The case of gender policies in Burundi
This proposal aims to study the main challenges posed by ‘post-conflict transitions’ on the definition and implementation of gender policies in Burundi from the mid 2000s. In particular, it examines how this category is produced and what are its effects on the conduct of public action in an “ordinary” policy area – i.e. which is not directly linked to conflict resolution but include other agendas, such as development. What are the structuring effects of the ‘post-conflict transition’ on public action on gender in Burundi? How do field actors negotiate, use and interpret this category? In return, what does this category make to gender policies? Focusing on processes and political games involved in its making, I will show that this category is a way for heterogeneous actors – ‘outsiders’ such as UN agencies, or ‘local actors’ such as the Burundian government and women’s organisations – to legitimise their intervention on political and social change. The research is based on three fieldworks conducted in Burundi from 2012 to 2014 and on the analysis of data produced by the organisations that participate in public action on gender in Burundi.

Marie-Esther Lacuisse (Aix-Marseille Université – CERIC)

Les standards du label équitable et la réorganisation d’un territoire rural en guerre. L’action bricolée des Nations-Unies dans la région de San Martin au Pérou (1986-2004)
Cette communication rendra compte de la relance du développement d’un territoire local en guerre au moyen d’une action dans le secteur agricole. Il s’agit de la région San Martin au Pérou, devenue la plaque tournante du trafic de cocaïne dans les années 1980 et dans le même temps le champ de bataille d’un conflit armé entre des forces subversives et l’Etat, et dont la réorganisation s’est faite autour de coopératives de petits producteurs, restructurées avec les standards du label commerce équitable, à partir de la fin des années 1980. Cette action n’a pas été menée dans le cadre d’une opération de paix mais par des ingénieurs industriels et agricoles de l’agence des Nations-Unies pour le développement industriel (ONUDI) alors en charge de projets de développement rural au Pérou. Nous montrerons dans ce cadre que l’Etat péruvien a privilégié des actions ordinaires dans le champ du développement rural face à l’intensification de la violence avec les mesures répressives et militaires soutenues par les Etats-Unis. Cette communication soulignera par ailleurs l’adaptation de l’action des ingénieurs des Nations-Unies à la dangerosité du contexte et l’importation d’instrument depuis le Mexique, où les règles du commerce équitable étaient alors en émergence pour réorganiser le monde rural. Cette communication reviendra ainsi sur la trajectoire d’une action bricolée désormais proposée en solution dans des zones de conflit.

Faire Trade Standards and the Reorganization of Rural Conflict Zone. The tinkered action of United Nations in San Martin Region in Peru (1986-2004)
This paper speaks about the revival of a local territory in war through an agricultural action around cooperative of farmers with the use of fair trade standards. It deals with the Peruvian San Martin Region that became the cocaine trafficking hub in the eighties and in a same time an area of armed conflict between subversives’ forces and the Peruvian State, henceforward a model of local development. This action was not executed in the framework of a peacebuilding operation but by agricultural and industrial engineers from the United Nations Industrial Development Organization (UNIDO) at that time implementing rural development projects in Peru. In this framework, this paper will show that, faced with the intensification of violence due to repressive and military solutions supported by the United States, the Peruvian State opted for a rural development action. It also underlines the adaptation of United Nations engineer’s action to a dangerous context and their importation of rural development tools from Mexico, where fair trade standards were in emergence. The objective of this paper is to retrace the trajectory of a tinkered action that is now proposed as a solution for conflict zones.

Jacobo Grajales (Université Lille 2 – CERAPS)

La terre pour qui la travaille ? Allocation de la propriété et sortie de conflit en Colombie
Depuis 2011, le gouvernement colombien a impulsé des politiques sur le domaine foncier justifiées au nom d’une sortie de conflit et une pacification de la situation politique. La mesure emblématique en était la restitution de terres aux victimes de déplacement forcé, visant à réparer plusieurs millions de personnes dont les terres ont été accaparées par la violence. À côté de ces transformations spectaculaires, des dispositifs plus discrets, mais porteurs de changements importants dans les sociétés agraires, sont mis en œuvre. Il s’agit notamment de politiques touchant à la clarification des droits de propriété, à l’élaboration d’un nouveau cadastre rural, à la titularisation des tenanciers sans titre et à la récupération des terres domaniales (baldíos) que des particuliers se seraient accaparées en profitant de la précarité de la présence directe de l’État dans les territoires. Ces politiques poursuivent des buts partiellement contradictoires. Si la construction d’un marché foncier transparent et sécurisé est censé clore le cycle de violence et dépossession, il est en même temps un vecteur de développement capitaliste, notamment par le biais de la stimulation des investissements financiers dans l’agriculture. Cette contribution s’attache à retracer l’émergence et la transformation de ces politiques, au gré des contradictions que pose la poursuite parallèle du développement économique et de la refondation de l’idée de propriété dans une situation de sortie de conflit.

The land to the peasants? Land control and post-conflict in Colombia
Since 2011, the Colombian government has promoted land policies in the name of postwar reconstruction and the pacification of politics. The flagship of this policy package has been land restitution for victims of forced displacement, an endeavor that aims at bringing compensation for millions of victims of violent land grabbing. Along these impressive transformations, more discreet measures are also conveyors of agrarian changes. This is specially the case with policies related to the clarification of property rights, the design of a rural cadastral registry, the formalization of irregular tenants and the recuperation of public lands (baldíos) grabbed by planters who took advantage of the precarious state control in rural zones. These policies aims are contradictory. While the construction of a secured and transparent market is supposed to prevent violence and dispossession, it is also expected to stimulate financial investment in agriculture. This contribution aims at retracing the emergence and transformation of these policies, as well as the attempts of solving the intractable contradictions that derive from the parallel effort of restating property rights and stimulating capitalistic development.

Cécile Jouhanneau (Université Paul Valéry Montpellier – ART-Dev)

La politique en aparté ? Les politiques de l’emploi dans l’industrie agroalimentaire en Bosnie-Herzégovine
Depuis les accords de paix de Dayton (1995), la Bosnie-Herzégovine fait l’objet d’une intervention internationale supervisant la mise en œuvre du volet civil des accords. Depuis plus de deux décennies, cette vaste ingénierie institutionnelle et sociale au nom de la stabilisation du pays a inspiré de nombreux travaux. Or peu d’entre eux ont adopté une démarche sociologique visant à éclairer les modes de production des dispositifs d’action publique, en particulier dans des secteurs non spécifiques aux sorties de guerre, comme les politiques de l’emploi et du travail qui font l’objet de cette contribution. Observe-t-on dans ce secteur, comme dans ceux relatifs aux questions combattantes et aux victimes de guerre, un mode de gouvernement en aparté, dans des groupes de travail ad hoc, hors de l’arène parlementaire ? La fabrique de politiques publiques ordinaires telles que celles de l’emploi et du travail s’inscrit-elle aussi en continuité relative avec la régulation néo-corporatiste de la Yougoslavie socialiste ? Pour répondre à ces questions, cette contribution se penche plus précisément sur les politiques du travail et de l’emploi dans l’industrie agro-alimentaire, un secteur majeur en Bosnie-Herzégovine. Elle repose sur des archives relatives à la politique de privatisation des entreprises agro-alimentaires – et aux engagements en matière d’emploi pris dans ce cadre – et sur des enquêtes de terrain conduites en 2017 auprès des acteurs chargés des réformes des politiques de l’emploi.

Policy-making as an aside? Employment policies in Bosnian agri-food industry
Since the Dayton Peace Agreement (1995), Bosnia and Herzegovina has experienced a large international peacebuilding intervention meant to supervise the implementation of the civilian part of the agreement. Over the past two decades, this vast enterprise of institutional and social engineering has inspired many works. However, only few of them have proposed sociological, fieldwork-based investigations into policy-making. Even fewer of them have explored policy sectors that are not specific to post-war contexts, such as employment and labour. These will be the focus of the present contribution. In the employment and labour policy sector, is public action conducted as an aside, in ad hoc working groups, outside the parliamentary arena, like in sectors relative to veterans and war victims’ issues? Do we observe the relative continuity of socialist Yugoslav neo-corporatist regulation? To answer these questions, this contribution investigates employment and labour policies in the agri-food industry more specifically. It draws on archives relative to the privatisation of agri-food public firms – and to the related commitments for employment that were taken then – and on fieldwork research conducted in 2017 among employment policy-makers in Bosnia and Herzegovina.

Mercredi 12 juillet 2017 14h00-18h00

BUTON François francois.buton@umontpellier.fr
GRAJALES Jacobo jacobo.grajaleslopez@univ-lille2.fr
JOUHANNEAU Cécile cecile.jouhanneau@univ-montp3.fr
LACUISSE Marie-Esther marieesther.lacuisse@gmail.com
LEFRANC Sandrine slefranc@u-paris10.fr
POPINEAU Camille camille.popineau@gmail.com
SAEIDNIA Sahar s.saeidnia@gmail.com
SAIGET Marie saiget.marie@gmail.com